J’avançais dans une brume opaque et lourde depuis quelques temps déjà. L'impression de malaise et d'être prise au piège ne disparaissait pas et l'angoisse commençait à poindre dans ma poitrine.

Pourtant, à première vue, cette forêt avait l'air banale, voir même agréable, et j'avais du mal à comprendre les étranges rumeurs qui existaient sur elle : Bien que la possibilité d'une foret hantée ne me semblait pas impossible, j'aurais bien plus imaginé un bois sombre dépourvu de vie, à l'odeur étrange et d'où s'échapperait des sons et des cris dignes de cauchemars... Au lieu de ça, les arbres bien verts se balançaient doucement avec le vent, les papillons voletaient de ci, de là, insouciants, et les oiseaux laissaient leurs chant résonner au loin.

J'étais alors entrée, comme une idiote, dans ce piège maudit. Je me fessais penser à une mouche attirée par du miel qui se seraient engluée dedans au point de ne plus pouvoir en sortit, condamnée à attendre la fin. J'avais bien sûr un but en posant le sabot sur ce sol, mais pas un but noble ou glorieux, ou rien de vraiment utile : je cherchais à satisfaire ma curiosité. Ainsi, j'aurais pu raconter mon expérience et dissiper la peur incohérente de ce lieu, où même, si cause de maléfice il y avait, chercher à rompre l'enchantement de ce lieu. Car enchantement il y avait, et cela j'en étais sûre : la brume semblait irréelle, dense, et ne se dissipait pas. Elle restait au sol, s'en bouger. je ne laissait aucune trace derrière moi en marchant, pas même un mouvement de brume. Aucune branche ne craquait sous mes pas, et le bruit semblait absorbé aussi par le brouillard. Seuls des petits claquements se faisaient entendre parfois, des craquements de branche sûrement, mais qui me rappelais étrangement... le claquement des os.

A peine avais-je fait quelques pas qu'elle m'avait envahie, cette brume. Les oiseaux s'étaient tus, le vent s'était arrêté. J'avais l'étrange sensation de ne pas être où je l'avais prévu, comme si la forêt où je pensais arriver n'était qu'un décor peint par dessus la vraie. J'avais tenté de faire demi tour, mais le chemin semblait s'être refermé derrière moi ! Impossible de sortir, même en ayant fait un demi tour et en marchant droit devant moi. J'avais alors avancé, et avancé...

Je m'apprêtais à m'assoir enfin, désemparée et effrayée, quand un bruit sourd se fit entendre derrière moi. Je me jetais immédiatement sur mes pattes, et ma vieille blessure se raviva. La marche ne lui avait pas fait du bien et je venais de faire un effort trop brusque pour elle... Ma respiration reprit un rythme normal quand un second souffle retentit, non loin de moi. Un peu de chaleur arriva sur ma nuque, bien que le reste de mon corps soit gelé, recouvert d'une sueur fine. Mue par mon instinct, je courais en ligne droite, évitant les obstacles du mieux que je pouvais. Ma petite taille me permettait de me faufiler entre les arbres serrés. La douleur me lançait, mais, bien que je n'entende plus rien, la peur me forçait à continuer. Quelle était cette créature ? Un Sauvage ? Un autre perdus ? Il était hors de question de s'arrêter, et j’accélérais encore, priant dans ma tête le grand Geit. Je suppliait un geste, de l'aide. C'est alors que je la vis. La Clairière de Lumière.

Un espace entre les arbres, petit. les troncs étaient si serrés que je devais me tortiller pour passer. J’atterris au centre d'un rond parfait, qui aurait pu être une partie banale de la foret si la brume n'avait pas parue si lumineuse. Un immense sentiment de calme et de plénitude m'envahit alors, et toute mon angoisse disparue d'un coup. Je fermais le yeux et respirais profondément. J’oubliais les arbres sombres, la brume, le silence pesant, les craquements étranges, les légendes qui circulaient sur cet endroit, et même la chose qui m'avait approché. Au travers de mes paupières closes, je sentis l'obscurité se dissiper. Mon pelage se réchauffa, et, loin, si loin, mais si délicieux à entendre, les trilles aiguës d'un passereau fendaient l'air. J'ouvris doucement les yeux, n'osant y croire : aucun arbre n'était à l'horizon. Le soleil brillait au dessus de moi, je voyais clairement, sans brume, et le chemin par lequel j'étais arrivée se dessinait sous mes sabots.

Je me tournais, et constatais que je faisais dos à la foret. Je me remis sur mes pattes flageolantes et admirais la vue. Au loin, un cheval passait. J'étais réellement... dehors ? Le souvenir de la brume sur mon corps me fit frissonner, et je m’éloignais bien vite de cet endroit maudit en remerciant Geit de son infinie bonté. Je me promettais de ne plus jamais remettre les pattes dans cet endroit, et de défendre d'y aller quiconque serait un jour aussi imprudent que moi...