Harassée, je rentrais à JusteChêne en passant par le marais. Malgré l’inhospitalité de ce lieu, il s'agissait du chemin le plus direct vers Unelma et le soir n'allait pas tarder à tomber, je ne pouvais pas me permettre de perdre du temps encore. Je marchais d'un bon pas dans l'eau fétide à l'odeur nauséabonde tout en pestant -Même les Prêtres s'agacent, oui oui...- contre les nuages d'insectes qui fondaient continuellement sur moi. Au moins mes sabots ne s’enfonçaient pas et dans la vase .Malgré l'humidité des lieux et l'automne bien avancé, il n'y avait nul fraicheur dans les marais et seules mes pattes, baignant dans un jus verdâtre, ne souffraient pas de cette étrange moiteur. De temps à autre, je sentais filer entre celles ci de petits poissons, et je me pris à sursauter quand une grenouille s'amusa à bondir sous mon museau.

Ma pauvre, tu deviens vraiment trop émotive... Pensais-je. Mais à peine cette pensée chuchotée à voix basse, je l'accompagnais d'un petit cri aiguë de surprise. Et pour cause ! Deux petits hybrides venaient de surgir d'entre les roseaux - il me semblait que c'était des roseaux, mais l'on en voyait seulement les tiges tant ils étaient hauts !- . L'un avait un corps de geai sans ailes, une tête de chat et des cornes de gazelles tandis que l'autre possédait un corps de chat, un faciès de gazelle et une queue de Geai. J'en déduisis bien vite qu'ils étaient frères. Ils étaient tout deux trempés et avait respectivement le plumage et le pelage ébouriffé. Ils avaient l'air très jeunes, on distinguait encore leur duvet !

TêteDeChat prit la parole d'un ton pressant et de manière très impolie :

-Hey toi ! Attends ! Tu pourrais nous aider ?

Je tiquais un peu et fronçais les sourcils : Je ne demandais pas de respect particulier pour ma condition de Pure - Je n'avais que faire de la prétendue supériorité des Pures sur les Hybrides- ou même de prêtresse, mais j'étais tout de même une adulte inconnue, à qui on demandait un service qui plus est ! Mais je me radoucis bien vite, il ne s’agissait après tout que d'enfants, qui vivaient sans doute coupés du monde et ne recevait pas la même éducation que les enfants pures de Unelma... Et puis ils avaient l'air si misérables que je m'arrêtais écouter ce qu'ils avaient à dire.

Cette fois, ce fut TêteDeGazelle qui parla.

-Pardonnez nous madame mais voyez vous, moi et mon frères, nous avons très faim et nous avons tenté si longtemps d'atteindre un fruit qui a l'air si délicieux que nos estomac se tordent à le voir que nous en sommes venus à chercher de l'aide, et peu de personnes passent dans les marais...
Alors nous vous supplions de nous aider, vous qui êtes si grande et si forte alors que nous sommes si petits et si faibles, de bien vouloir nous aider à prendre ce fruit. L'arbre n'est vraiment pas loin, ce ne sera pas dur pour vous, mais nous sommes inaptes et seuls au monde, nous n'avons aucune famille pour nous aider ...- ses yeux se brouillèrent de larmes et sa voix se brisa,son comparse baissait piteusement la tête et regardant ses pattes-

-Bien entendu, tout travail mérite salaire... Reprit TêteDeChat en tapotant de sa patte une bourse usée qui pendait à son cou.

Ce n'était pas l’appât du gain qui me fit accepter mais la pitié que j'avais pour ces petits. On m'avait parlé d'enfants hybrides ou pauvres qui se jouaient des voyageurs crédules, mais les yeux humides et pleins d'espoirs des deux affamés ne me semblaient pas factices. Je les laissait donc me conduire, tout en se confondant en remerciements- à une étendue d'eau plus profonde au centre de laquelle trônait un arbre d'une taille moyenne, mais au feuillage d'un bleu foncé presque noir et à l'écorce violine. Et, sur cet arbre, un fruit unique : Bleu turquoise, de la taille et de la forme d'un melon bien gonflé, il dégageait une odeur sucrée très agréable. Je m’avançais sans problème d'ans l'eau, qui m'arrivait au poitrail, tout en songeant au plaisir qu'ils auraient à manger ce fruit -idée qui me rendait bien contente, je l'avoue-. J'étais également curieuse de savoir ce que la mystérieuse bourse contenait , quel trésor ces petits vagabonds avaient t ils donc ramassé au cours de leur errance ?

J’atteignis enfin l'arbre étrange et cueillit du bout des dents le" melon". Les Hybrides poussais de petits cris de joie qui faisait chaud au cœur et je me hâtais de revenir vers eux. Il m’accueillirent chaleureusement et TêteDeGazelle me remercia tout en m’ôtant le fruit de la bouche afin de le placer dans un sac de toile que je n'avais pas alors remarqué. Je m'étonnais de les voir échanger de petits coups d’œil énigmatiques, mais attendit sagement et sans un mot mon dû.

Qui n'arriva jamais. Avec un air malicieux et complice, les deux arnaqueurs s'enfuirent bien vite à toutes pattes dans la végétation du marais et tout ce qui resta deux fut la petite bourse, remplie de pierres, que l'Hybride à tête de chat me lança en criant :

- Merci beaucoup M'dame ! Voici un petit cadeau de notre part, et au plaisir de se revoir!

Penaude et outrée, je restais sans mot dire, fixant sans ciller l'endroit où, un instant plus tôt, les malfrats se tenaient. Je m'étais bien fait avoir, mais n'en avait aucune rancune et aucune rage , même pas celle d'avoir agit pour rien, car la récompense que j'en tirais était tout de même celle de savoir que leurs ventres seraient remplis ce soir, mais j'avais tout de même la déception de constater que, peu importe leur âge ou leur visage, les félons existaient et existeront toujours, tant qu'il y aura de trop bonne âmes - pour ne pas dire des nigauds- à attraper.