Le soleil avait quitter son zénith et entamait une lente descente vers l'Ouest; le ciel d'un bleu tendre c'était enflammé et lézardé de jaune mimosa, de citron clair, d'orange pensé, de rose moyen et de mauve litchi. À cet instant-là, les plus beaux Monets et Picassos n'auraient pu oser rivaliser avec toute la splendeur de ce spectacle si l'on avait pu en capter un moment pour le peindre. La nature faisait dans les belles choses ; elle en a l'habitude. La chute du mercure coïncidait avec l'évolution de l'astre dans le ciel, la brise soufflait avec la même ardeur; assez puissante pour pousser les nuages, mais suffisamment douce pour ne jamais les blesser, mais elle s'était légèrement rafraîchie. Le vent froissait la surface de l'eau, les vagues s'étiraient sur la berge, léchant le sable en n'y laissant qu'un cerne sombre. La mer avait rejetée des débris parmi lesquels on dénombrait algues et divers restes organiques. Son retrait, quand à lui, échouait coquillages et mollusques loin sur la grève.

Puis vint le moment où le jour tomba et fit place au crépuscule. À mesure que le ciel s'assombrissait, à mesure que le mercure chutait, la faune aquatique quittait les récifs et le large pour s'approcher des côtes, ce monde qui appartient à la nuit s'éveillait tranquillement. La résurgence occasionna une agglomération du phytoplancton bioluminescent et, ensembles, ces micro-organismes traçaient des constellations bleutées sur le rivage. C'est à ce moment là que Prudence entrait en scène, régnant en maître dans cet univers aquatique, couvert par l'obscurité de la nuit. Elle avait quitté le terrier creusé à même le récif qui l'abritait pour s'aventurer près des côtes en quête de proies faciles. Du large vers la grève, les proies vulnérables s'en retrouvaient coincées et finissaient soit échouées, soit prisonnières de ses dents tricuspides. Ses mâchoires vives s'emparaient du poisson et ses dents acérées s'empalait dans leur chair, malgré la viscosité de leur peau écailleuse. Cependant incapable d'avaler entier son repas, c'est là qu'interviennent ses mâchoires pharyngiennes : se saisissant de l'animal pour l'entraîner au fond de sa gorge et permettre la déglutition. Son corps anguilliforme ondulait dans l'eau, fendait les vagues avec une aisance innée. Vautrée dans le sable, encore à demi immergée, elle profita du couvert de la nuit pour digérer son repas, rêvassant comme un ivrogne cuve son vin.

Il courait comme un dératé au travers du sable humide, les vagues se brisant sur ses pattes, sautant, riant, comme un enfant perdu dans un rêve. L'été, chaud, livrait enfin son lot de trésors inimaginables. Un coucher de soleil sur la mer calme ; un océan se colorant de lumière, parade de méduses et de plancton ; et, comme un feu d'artifice naturel, des lucioles, attirés par tant de lumière et de beauté. Et lui, dragon, adulte mais encore naïf et joueur, courait après les insectes, sautait au dessus des vagues, shootait dans les crabes, véritable terreur des bacs à sable.
Néah ne s'était pas amusé ainsi depuis bien longtemps. Il fallait croire que les escapades du maître de ci de là lui étaient parfois utiles, ne serait-ce que pour découvrir le monde. Ou le détruire, a en croire ces actuelles actions. Quoiqu'il en soit, l'impossible énergumène brayait comme un beau diable, se pensant seule sur le tableau de maître qu'il souillait. Pensée qui le quitta en quelques secondes, lorsqu'il trébucha sur une masse à demie enfouie dans le sable.

Le nez dans le sable, la bouche pleine d'eau de mer et probablement de miasmes, il se releva, contemplant avec curiosité et dégout la chose, longue et fine, mais surtout, étonnamment colorée dans la quelle il venait de shooter. Un poisson... ou un reptile ? C'était étrange, pourquoi fallait il toujours que la mer donne naissance a des bizarreries pareilles ? Après tout, sur terre, il n'y a pas de lapin ailé a tête de crocodile ou de chien cornu, hein. Alors pourquoi Poséidon devait il fantasmer sur des choses aussi étranges que les méduses, les fugu et autres crabes des cocotiers ?

Bah, peu importe. D'un coup de pied bien placé, il essaya de repousser la carcasse dans l'eau, rendant aux profondeurs son enfant.

- Retournes en enfers, démon !

Screamer in coming.

Quelque chose l'happa de plein fouet à la tempe. L'agression la tira des limbes et son cœur ne fit qu'un bond dans sa poitrine. D'un puissant coup de queue, elle s'en retourna à l'eau : la mer l'a ravala aussitôt. Les yeux écarquillés de surprise, elle posa son regard éberlué sur celui à qui elle devait ce réveil agréable. La bête était minuscule. Insignifiante. Adorablement jolie. Elle sourit, puis ne put réprimer un rire déconcertant et confondu. D'un seul mouvement leste et fluide, son corps fuselé glissa sur la vague et retourna s'échouer sur le sable humide de la berge. D'une main molasse elle massa son crâne endolori et faisant appui de ses cinq membres encore oisifs, elle se releva lentement.


Les mots avaient fait plus mal que le coup qui lui avait été porté à la tête.

Elle dévora des yeux la petite salamandre ailée. Jaugeant l'adorable créature qui lui crachait son fiel en pleine figure. Elle réprima un gloussement amusé en constatant les similarités qu'elle partageait avec cet inconnu : leur physique chimérique étaient tous deux éclectiques et grotesques, ils avaient au moins cela en commun. Qu'elle ironie. Elle s'approcha d'un pas confiant, avançant sans entrave vers le petit bipède jusqu'à ce qu'une foulée ne les sépare. Elle le dévisagea longuement. Portant sa tête sur le côté, elle laissa tomber d'un ton faussement choqué :


« Moi? Un démon? »

Elle sourit de nouveau, puis adressa ce premier reproches à son interlocuteur.

« Aux dernières nouvelles, ce n'est pas moi qui aie brutalisé et insulté un étranger. »

Le rictus qui déformait son visage n'avait rien de vicieux, mais il découvrait toutes ses dents ébènes, lui conférant un air sinistre; inquiétant. Quelle image cela devait être de la voir ainsi : un clown débile arborant une livrée aux couleurs criardes et un sourire sombre.

La créature filiforme se révéla, sous ses traits à la fois colorés, somptueux, et pourtant inquiétants, être une chimère. Tout comme lui. D'abord confus de la voir ainsi, car bien que les hybrides puissent avoir des formes des plus variés, la plupart cherchait la simplicité ou, tout du moins, a ne pas trop attirer l'attention, celle ci faisait pâlir de jalousie les arc-en-ciel.

- Moi? Un démon?

Il gloussa, reculant légèrement, se mettant au sec sur le sable, et, il l’espérait, à l'abri de la colère bariolée.

- Aux dernières nouvelles, ce n'est pas moi qui aie brutalisé et insulté un étranger.
- Je... Je suis désolé. Je.

Il baissa les yeux, jouant du gravier blanc de son pied, tel un enfant prit en faute. Adulte, et pourtant aussi développe qu'un prépubère, Néah n'en menait généralement pas large face à autrui, trop timide, trop naif et surtout, trop débile, pour chercher la provocation ou avoir la moindre once de répartie.

- Je pensais que t'étais un monstre. Pas l'habitude de voir des hybrides dans l'eau...et-, commença t'il, avant de relever la tête, le regard suspicieux. Et encore moins seul.

Ses yeux fouinèrent d'abord le corps de l'intruse à la recherche d'un symbole quelconque la rattachant à un maître, puis, la plage, déserte. Seule. Oui. Mais peut être était elle en "mission", comme lui, et se permettait un peu de repos ici bas.

- Où est ton maitre ? Tu travailles dans quoi ?

Curieux, mais aussi perplexe. Néah, idiot mais pas trop, savait que les hybrides "libres", comme ils aimaient se nommer, étaient souvent des recherchés, des voleurs, des vandales, et, comme le disait son propre maître, des "saloperies qui parasitent nos terres".

Il baissa les yeux, mais elle n'en fit rien : ses yeux sévères outremer restaient braqués sur lui. Son rire fut bienveillant, quoique discret – seule sa respiration saccadée trahissait son plaisir- La petite salamandre violette avait le chic pour se mettre dans tout ses états; à vrai dire, elle y parvenait très bien sans aide. À le voir jouer avec le gravier de son pied, Prudence avait l'impression de réprimander un enfant – l'était-il?-.



Elle ponctua la phrase du petit d'un claquement de mâchoire; sa seconde mâchoire, le laissant à sa tirade.

« Mais tu es seul. »

Ses yeux s'écarquillèrent légèrement, la surprise s'était invitée et contorsionnait son visage. Le petit avait son attention, mais à présent il avait son intérêt également. Elle eu un léger mouvement de recul, des 2m qui constituait son corps, elle décrivit une ellipse autours de son interlocuteur.

« Pardon? »

Sa réponse fut instinctive, si soudaine qu'elle en coupa presque le petit. Un maître? Il était la première personne qu'elle eut rencontrée sur ce continent. Un métier? Pour en faire quoi? Chasser, manger, dormir, rêvasser au soleil étaient ses seules occupations -et surtout ses seules préoccupations-. Elle inclina la tête sur le côté pour mieux souligner son interrogation. Même en ignorant celui qui se tenait devant elle, elle ne pouvait s'empêcher de s'enquérir pour sa situation.


« Le tien est loin, tu pourrais partir si tu le voudrais, rien ne t'en empêcherait. »

En supposant qu'il en ait un. Compte tenu de sa question, elle en avait déduit qu'il en avait un.
La question qui lui brûlait la langue : Comment quelqu'un peut-il tolérer des années de servitudes alors que son salut, sa liberté, est à portée de main? Sa langue sombre fouetta l'air à la manière de celle des serpents alors qu'elle se vautrait dans le sable chaud, le sable s'agglomérant à son ventre humide.